Si Tolkien touche ses lecteurs, c'est qu'il fait rêver. Non pas rêver pour fuir la réalité de notre temps
mais rêver pour sortir grandi d'une histoire où l'on peut en quelque sorte se sentir acteur. Non un acteur
dans l'histoire mais acteur une fois que le livre a rejoint sa bibliothèque. A ce moment-là, nous pouvons
en parler, poser nos questions, tenter de répondre à d'autres. Acteur parce qu'il nous prend l'envie de
prendre la plume et d'écrire ces lignes. Parce que lire une histoire, ne pas y réagir, en profiter tout
bonnement ne suffit pas. Et vous êtes sûrement comme nous, à vouloir trouver d'autres lecteurs avec qui partager vos impressions.
L'œuvre de Tolkien inspire de nombreuses questions et encore plus de commentaires. Deux lecteurs
de Tolkien qui se rencontreront auront forcément quelque chose à se dire, des images et descriptions à
échanger, d'impressions à raconter. C'est ce qui fait la richesse de ses écrits, le fait que les images ne
meurent pas, que l'on a l'impression de connaître les personnages. Rares sont les auteurs à pouvoir
inspirer ce " vécu ". Fowles, Burgess et un petit nombre d'auteurs de littérature " classique " l'ont réussi
mais Tolkien, parce qu'il décrit un monde totalement imaginaire, inspire un respect nouveau face à cette performance.
Sans vouloir nous risquer dans un examen psychologique de ses lecteurs, nous dirons que Le
Seigneur des Anneaux parle à la fois à notre côté enfant et à l'adulte que nous sommes (où en passe de
l'être). Le côté " Aventures " nous ramène à une époque de notre vie où nous jouions au Robinson,
à l'aventurier sans peur. Qui n'a aimé se construire un abri, une cabane et y rassembler ses jouets et
autres trésors de " guerre " ? Cette dimension, nous la retrouvons en grande partie dans les deux premiers
livres du Seigneur des anneaux alors que les Hobbits s'en vont vers l'inconnu, découvrir de nouveaux horizons et
paysages et faire de " nombreuses rencontres ". Les Hobbits représentent ce côté enfant du lecteur, c'est
pourquoi nous les comprenons si bien. Plus loin, ces mêmes Hobbits traversent de dures épreuves et grandissent en
âme et en sagesse, ils arrivent à l'âge adulte. Ici, nous faisons face à l'enjeu de la situation et prenons conscience
qu'à chaque moment la Quête peut se terminer de manière abrupte avec la Chute de son porteur. Il faut également
être adulte pour considérer pleinement la dimension mythique et la portée philosophique des thèmes abordés dans le Seigneur.
L'ultime raison de cet engouement réside tout simplement dans la qualité de l'écriture. La fascination
de Tolkien pour les langues se voit dans ses écrits. Pour lui, la poésie d'une langue est dans les vers
mais aussi dans les mots eux-mêmes. La grammaire, la syntaxe, la sonorité d'une langue sont pour lui
une vraie Musique. Quel plaisir de suivre le rythme des phrases, de goûter les rimes des poèmes, de
tenter de mettre des notes sur les chansons. Le Seigneur c'est aussi un certain nombre de chapitres
prodigieux qui imprègnent à jamais notre vécu de lecteur. L'apparition du Balrog dans la Moria, celle des
Ents dans la forêt de Fangorn sont renversantes d'originalité et d'inspiration. Et tout au long de l'ouvrage,
ce sont ici des moments de joie, là de surprises et d'inquiétude qui font que les lecteurs de Tolkien ne
sont pas peu prolixes lorsqu'ils parlent de lui.